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4 janvier 2008

Amélie Nothomb, "Ni d'Eve ni d'Adam"

[Amélie s'est installée au Japon depuis peu et décide de donner des cours de français. Elle laisse une petite annonce au supermarché, à laquelle répond un jeune homme.]

Il me racontait les rigueurs de l'été quand je le vis lever les yeux vers un garçon qui venait d'entrer. Ils échangèrent un signe.
   - Qui est-ce ? demandai-je.
   - Hara, un ami qui étudie avec moi.
Le jeune homme s'approcha pour saluer. Rinri fit les présentations en anglais. Je m'insurgeai :
   - En français s'il vous plaît. Votre ami aussi étudie cette langue.
Mon élève se reprit, pataugea un peu à cause du brusque changement de registre, puis articula comme il put :
   - Hara, je te présente Amélie, ma maîtresse.
J'eus beaucoup de mal à cacher mon hilarité qui eût découragé d'aussi louables efforts. Je n'allais pas rectifier devant son ami : c'eût été lui faire perdre la face.

C'était le jour des coïncidences : je vis entrer Christine, sympathique jeune belge qui travaillait à l'ambassade et m'avait aidée à remplir de la paperasse.
Je la hélai.
Il me sembla que c'était mon tour de faire les présentations. Mais Rinri, sue sa lancée,voulant sans doute répéter l'exercice, dit à Christine :
   - Je vous présente Hara, mon ami, et Amélie, ma maîtresse.
La jeune femme me regarda brièvement. Je simulai l'indifférence et présentai Christine aux jeunes gens. A cause de ce malentendu, et de peur de paraître une dominatrice en amour, je n'osai plus donner de consigne à mon élève. Je me fixai comme unique objectif possible de maintenir le français comme langue d'échange.
   - Vous êtes toutes les deux Belgique ? demanda Hara.
   - Oui, sourit Christine. Vous parlez très bien français.
   - Grâce à Amélie qui est ma...
A cet instant je coupai Rinri pour dire :
   - Hara et Rinri étudient le français à l'université.
   - Oui, mais rien de tel que les cours particuliers pour apprendre, n'est-ce pas ?
L'attitude de Christine me crispait, sans que je sois assez intime avec elle pour lui expliquer la vérité.
   - Où avez-vous rencontré Amélie ? demanda-t-elle.
   - Au supermarché Azubu.
   - C'est drôle !
On avait échappé au pire : Il eût pu répondre que c'était par une petite annonce.

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