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les mots
3 novembre 2007

fuir vers moi même

La nuit est tombée, il commence à se faire tard et les gens dorment. D'ordinaire les gens dorment. La ville semble éteinte, plongée dans un calme de mort. Il est très tard et les gens dorment. D'ordinaire les gens dorment. Mais pas moi. Je ne dors pas. Je devrais être tranquillement installée sous ma couette, au chaud. Mais non, je ne me trouve pas dans mon lit et je tremble de froid. Que fais-je dehors à une heure pareille au lieu de profiter d'un long sommeil chez moi? Ah oui, je crois qu'on appelle ça une «fugue».

Il fait nuit depuis déjà plusieurs heures, d'ordinaire les gens dorment. Mais moi, je ne dors pas. Je cours. Je cours, je dévale les rues, les maisons défilent les unes après les autres, elles se ressemblent toutes. Je cours, aussi vite qu'il m'est possible de le faire. Je ne sens même plus mon coeur. Est-ce qu'il bat toujours sous ma poitrine? Je cours comme je n'ai jamais couru. Je ne sens plus mes jambes non plus. Je cours, je ne peux pas m'arrêter. Je cours, je cours et... Pourquoi est-ce que je cours déjà? Je n'ai pas le temps de chercher une réponse que je trébuche. Je heurte violemment le pavé humide et froid. Mince, je viens d'élargir ce trou qui rompait déjà la continuité du tissu de mon jean. Il est énorme et laisse apercevoir la peau de mon genou tout éraflé. Je saigne. Comment me suis-je fait ce trou? Je ne m'en souviens pas. J'ignore si c'était lors d'une chute en moto ou bien par accrochage, mais qu'importe. Je suis étendue sur le sol, j'essaie de me relever, ce n'est qu'avec peine que j'y parviens. Je suis maintenant assise sur mes talons et la douleur me lance, mais je ne dois pas y prêter la moindre attention ou elle grandira. Assise au beau milieu de la chaussée, je réfléchis. Je sens de nouveau mon coeur battre et le sang qui afflue à mon cerveau. Je réfléchis, pourquoi est-ce que je courais? Ah oui, je voulais fuir. Fuir mon chez moi. Fuir mon père et son envie de me mettre à la tête de son entreprise. C'est une idée fixe chez lui, et ce depuis ma naissance. Il pense plus au bon fonctionnement de son entreprise qu'à mon projet d'avenir. À croire que pour lui je ne suis rien, sinon une incapable pas foutue de marcher droit sans se prendre les pieds dans tout ce qui a le malheur de traîner par terre. Il n'a pas tort sur ce point. Mais le fait est que je ne veux pas suivre la ligne qu'il a tracée à ma place. J'aurais du être un garçon, tout aurait été tellement plus simple, hein papa? Tu aurais joué avec moi étant enfant et tu m'aurais façonné à ton image! Mais désolée, je ne suis pas ce garçon. Non je suis une fille. Une fille qui a des aspirations opposées aux tiennes. Et j'ai décidé de fuir, de partir loin de toi et des tes projets qui ne m'intéressent pas. Tu trouveras sûrement un homme qualifié pour te succéder, je ne m'inquiète pas pour ça. Nous en sommes donc là. Pendant que tu ronfles, la tête enfoncée dans ton oreiller, songeant peut-être à tous tes chiffres d'affaires auxquels je n'ai jamais rien compris, tu ne te doutes pas que ta fille a profité de cette nuit pour se faire la belle. Tu te réveilleras et tu découvriras que ta fille n'est plus là, qu'elle n'est plus dans la maison, tu iras voir dans sa chambre et tu t'apercevras qu'elle n'a rien laissé à part un mot où il est écrit « au ravoir ». Que penseras-tu à ce moment-là? Mystère. Et honnêtement, je m'en moque bien, tu pourras bien penser ce que tu veux. J'ai pris soin d'appeler un ami pour qu'il passe prendre mes affaires ce matin, il a accepté de partager son appartement avec moi. Il ne reste plus rien chez mon père, rien qui laisserait supposer qu'il avait une fille. C'est comme si je venais d'effacer les traces de mon existence. C'est peut-être bien le cas, je n'existe plus pour ce petit village perdu qui m'aura oubliée dès demain.

À présent je dois rejoindre la gare, elle se situe à 2km de là où je me trouve. Toujours assise sur le pavé, je regarde les files électriques sur le bord de la route. Alors je songe à lui. Lui qui m'avait posé cette étrange question, un soir de mois de juin, il y a un an de cela : « Tu crois qu'on peut écrire sur ces lignes-là? » Et il souriait, ce sourire que j'aimais tant et que je recherche à présent dans mes souvenirs. Il est parti pour Lille six mois plus tard. Qu'est-ce qu'il peut bien faire maintenant? De quoi peut avoir l'air sa vie? Pense-t-il encore à moi parfois? Quelle chance il a d'avoir pu s'échapper de ce trou qui aspire toutes les espérances, tous les espoirs pour les étouffer, les crever, les tuer. Mais ce soir, c'est mon tour. Je pars, je quitte ce cimetière avant que mes rêves n'y meurent. Je me relève, je me tiens debout sur mes jambes douloureuses et lève les yeux. Le ciel est dégagé, la pluie battante qui n'avait cessé de tomber toute la journée a laissé place à un ciel découvert où des milliers d'étoiles scintillent de toute leur splendeur. J'ai toujours aimé regarder les étoiles, allongée dans l'herbe durant l'été ou sur la terrasse avec une tasse de thé en hiver. Je me remets en route. J'avance, il faut que j'aille à la gare, mon train part dans une heure. J'accélère l'allure. Je pense encore une fois à mon père, à sa façon qu'il avait de se comporter avec moi, et avec ma mère. Si elle était encore parmi nous, elle m'aurait encouragée à suivre ma propre voie. Je n'aurais sûrement pas eu à prendre la peine de partir sans prévenir par une nuit de juin. Mais ce n'est pas le cas, elle nous a quitté lorsque je n'avais que 5 ans. Tout aurait été vraiment plus simple. Trop simple peut-être. Mais bon, la vie est ainsi faite, et personne ne peut remonter le temps. Je marche, j'accélère encore. Je veux partir au plus vite, atteindre la gare, monter dans mon train et rejoindre mon ami au Havre. J'accélère. Je reprends ma course folle. Je cours. Je cours toujours sous ce ciel étincelant. C'est une superbe nuit pour prendre enfin sa vie en main.

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